COMMANDO FLNC - Jean-Pierre SANTINI - 2013

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Trois membres d'un commando FLNC traversent l'histoire contemporaine du mouvement national qui fut porté à l'origine par l'idéal patriotique avant de naufrager dans les dérives affairistes et mafieuses. "Paul Monti en savait assez. L'avenir devenait prévisible. Il pensa que c'en était fini du peuple corse même si personne n'entendait sonner le glas et que les artistes prospéraient sur cette fin de monde. On mourait en beauté. Et c'était déjà ça."

Le personnage de Paul Monti

Le personnage de Paul Monti

Paul Monti n'avait pas de famille. il avait sans doute trop rêvé les femmes pour en trouver une qui approche ce rêve. Il en avait connu quelques unes et autant de déceptions. Leur beauté, leur charme, leur intelligence, ne changeait rien à l'affaire. L'objectif commun, obsédant, impératif et le mieux partagé au monde, visait à la reproduction. Or, Paul Monti n'avait jamais éprouvé le besoin d'une descendance, lui-même ne succédant à personne même s'il avait eu un père mort trop tôt et une mère morte trop tard en lui laissant l'image d'une  féminité délabrée. Il ne se voyait pas vieillir auprès d'une femme vieillissant elle-même avec cette misère des corps qui se décharnent, cette sécheresse de la peau qui rend rugueuses la moindre caresse et cette plainte dans le regard qui n'est plus de l'amour mais de la compassion mutuelle. Non, décidément, quelque bonheur et quelque plaisir qu'offre l'instant, il fallait fuir, toujours fuir pour laisser aux autres l'œuvre animale et se perdre dans les nuages. Rêver d'un autre monde, d'une autre humanité, d'une île idéale, d'un peuple heureux, au fond tout cela engageait bien moins que l'odeur âcre qui vient toujours aux mises en ménage, aux domesticités intimes, aux coucheries conjugales.

Cédant à peine aux besoins naturels, juste le temps de les satisfaire, maîtrisant au mieux l'affectivité qui en résulte, Paul Monti aimait d'autant plus l'humanité qu'il avait renoncé à aimer humainement. Il idéalisait les foules anonymes  prenant soin d'éviter qu'un être, un seul, ne s'en détache et ne vienne à lui. C'est ainsi qu'il pouvait accomplir, dans une saine indifférence, toutes sortes d'actions utiles pour lui-même ou pour les autres. Il ne se sentait jamais indispensable, convaincu que sa présence n'apportait rien au monde et qu'on l'oublierait vite après qu'il se soit absenté. Il était juste là pour donner le change puisque la vie des hommes, pour se justifier, à besoin des paroles et des actes. Alors, il parlait et il agissait, sans donner trop de crédit à ses discours ou a son engagement. Il était là, comme il aurait pu être ailleurs, fruit du hasard sur ce coin de terre avec l'obligation d'y dérouler une  existence. Le jeu de rôle lui convenait dès lors que la vie se réduisait à un jeu et à un rôle. A tout prendre, il avait choisi celui du personnage modeste, désintéressé, offrant au collectif tout ce dont il était capable, à l'exclusion d'une descendance qu'il se refusait d'engendrer. Là était sa résistance et là était son orgueil. Il voulait bien tout donner sauf ce qui l'aurait contrait à entrer, par sa progéniture, dans le maelstrom organique. Tout entier dévoué aux autres dans la froide indifférence de son libre arbitre , il était inhumain de trop d'humanité.

Paul Monti n'y allait pas de gaieté de cœur. D'ailleurs, plus rien ne suscitait chez lui un réel enthousiasme. Il se laissait porter par le temps sans jamais croire que ses mots ou ses œuvres pouvaient avoir de l'importance. Il était revenu de tout, ce qui ne l'empêchait pas de participer encore aux actions d'un mouvement dont il avait été un des initiateurs.  Il  y était attaché comme on pourrait l'être pour des choses devenues inutiles mais dont on ne se sépare pas par crainte d'une mutilation. N'y aurait-il pas en lui une plaie ouverte, s'il devait à jamais tourner le dos aux rêves qui avaient donné du sens à sa vie. Il savait bien que  l'idéal porté par les patriotes de la première heure ne correspondait plus aux aspirations qui justifiaient désormais  les engagements. La promotion sociale individuelle était intégrée, si l'on ose dire, à la lutte de libération  nationale. Chacun, dans le mouvement et plus généralement dans la société insulaire, semblait raisonner à l'instar des modèles continentaux : réussite personnelle, performance, compétition, ambition, carriérisme, consumérisme, toutes choses découlant de l'idéologie individualiste distillée par les classes dominantes et leurs mass médias.

(…) l'âge et l'expérience conduisait Paul Monti à tirer des conclusions pessimistes quant à l'avenir de la revendication nationale et de la survie même du peuple corse.  Mais il vivait ce désenchantement comme une histoire d'amour. Il ne se résignait pas au point final ou au trait définitif que l'on tire. Un rêve flottait encore dans sa tête. On n'en finit pas d'aimer le soupçon de bonheur que les autres nous donnent et ça suffit parfois à éclairer le reste d'une vie même si la lueur s'amenuise avec le temps et qu'il n'en reste qu'un éclat fragile dans le dernier regard porté au monde.

Paul Monti avait, comme eux, fait le parcours des quarante années de lutte pour tenter de rendre au peuple corse sa liberté. Il n'avait plus aucun espoir mais jugeait plus digne de garder le silence. Il s'était donné corps et âme à la passion patriotique, à cet amour étrange d'un pays qui était le sien par le hasard de la naissance. Il y a sans doute, dans l'attachement à une terre, et pour une île plus encore, quelque chose de la nostalgie des limbes maternels. Au fond, on ne sait jamais exactement pourquoi l'on aime.

 Paul Monti en était sûr aujourd'hui,  on perd beaucoup de son âme dans la passion des entités abstraites comme  la patrie, la nation ou l'état. À vouloir embrasser toute l'humanité on en oublie parfois l'humain.  Et cela résumait toute sa vie. Il n'avait jamais rencontré une femme avec laquelle il puisse faire monde. C'était toujours des amours passantes, des intermèdes sentimentaux que l'habitude vite acquise du corps noué au corps de l'autre conduisait au désenchantement, à l'abandon et à l'oubli.  L'idée qu'une femme puisse être celle de sa vie lui paraissait absurde. Et d'ailleurs, il n'avait eu nul besoin de forcer le cours des choses. Il avait été tenu à l'écart du phénomène et ne s'en plaignait pas. De même pour les amitiés. Il avait éprouvé des sympathies et sans doute en avait-il lui-même inspirées sans que cela se traduise par un attachement indéfectible. Et, avec le temps, il considérait comme un avantage de n'avoir rien à regretter, ni personne. L'absence de réaction profonde, n'était-ce encore un brin de curiosité, en prenant connaissance d'évènements majeurs ou minuscules, contrastait avec l'extrême importance qu'il avait pu leur donner autrefois. Il avait l'impression d'être libéré des pesanteurs du monde mais, paradoxalement, éprouvait le besoin d'inclure ses énergies restantes dans la compacité des pierres. Il s'était donc remis de plus belle à ériger des murailles sans se préoccuper de leur utilité immédiate et comme s'il était impératif de laisser la trace d'une écriture. Il avait toujours été fasciné par les terrasses érigées des siècles durant aux versants des collines et dont les murs de pierres figuraient autant de signatures sous la toison dense du maquis. Des foules anonymes, innombrables avaient signalé leur passage et il lui arrivait souvent de faire le geste absurde de passer légèrement sa main sur les pierres  comme pour renouer avec un monde énigmatique.

Le personnage de Jacques Giambarelli

Le personnage de Jacques Giambarelli

Avec une poignée de jeunes militants qui avaient adhéré au FLNC quelques mois après sa création avant d'accéder à la direction politique, Jacques Giambarelli avait élaboré une théorie dite "des trois formes de la LLN" ( Lutte de Libération Nationale). Publié dans un "livre blanc du FLNC" cette théorie réaffirmait certes, la prédominance de la lutte armée, mais insistait sur la lutte de masse ( manifestation de rue, mobilisation populaire) et la lutte institutionnelle ( participation aux élections organisées par l'Etat colonial, création de contre pouvoirs associatifs et syndicaux). La suite des évènements démontrera quelle volonté politique réelle se dissimulait sous cette architecture conceptuelle. Mais pour l'heure, l'ensemble du mouvement national était convaincu de sa validité et la fraction clandestine elle-même que l'on flattait en assurant que c'est elle qui gardait la direction de l'ensemble des luttes.

- Donc, cari fratelli, je tiens à vous rappeler ce soir, que Corsica Nazione, expression publique de notre mouvement, participera dans deux mois aux élections territoriales et qu'il est du devoir de chaque patriote de faire en sorte que notre liste obtienne le meilleur score. Comme vous le savez déjà, nous avons fait alliance avec les autonomistes et nous avons même donné la première place à leur leader historique Albert Simoni. Par contre, la deuxième place reviendra à notre ami Jean Mathieu Tagliamonti. De plus, la majorité des autres places éligibles nous est réservée. Avez-vous une question à poser ?

Le basculement de l'indépendantisme à l'autonomisme

Le basculement de l’indépendantisme à l’autonomisme

Aux élections territoriales de 2004, Jean-Mathieu Tagliamonti avait été désigné en deuxième position sur une liste d'union regroupant toutes les composantes nationalistes après de longues négociations pour acter les points d'accords et les divergences dans le cadre d'un processus dit d'Unione Naziunale. Paul Monti, invité régulièrement aux séances publiques qui se tenaient à l'Université Pasquale Paoli, s'installait toujours au fond de la salle et, méthodiquement, recueillait les minutes des discussions engagées ce qui facilitait une analyse des véritables enjeux dont les militants de base n'avaient pas conscience. La partie se jouaient entre les dirigeants qui savaient eux, exactement, où ils voulaient en venir. Lorsque les débats s'achevèrent à deux mois des élections, Paul Monti avait parfaitement compris quelles lignes politiques se dégageaient des échanges et de la volonté "d'union' affirmée par toutes les tendances.

Pour les leaders indépendantistes dont le mouvement sortait épuisé et décrédibilisé d'une guerre fratricide, il s'agissait essentiellement de sauver les meubles au niveau électoral et d'avoir au minimum quatre élus dans la nouvelle assemblée sur les huit sortants. Pour les autonomistes, il s'agissait de réintégrer l'institution où ils n'avaient obtenu au dernier scrutin aucune représentant. Toute la question se résumait apparemment à un simple marchandage pour occuper quelques strapontins. Mais, plus profondément, les raisons étaient différentes. Paul Monti les avaient perçues depuis longtemps, mais il n'était pas possible d'en faire état parce que le lien clanique, quasiment culturel, demeure très fort en Corse.  La critique des leaders est toujours mal acceptés. 

L'objectif inavoué de cette "Unione naziunale" était bel et bien, l'élimination progressive du mouvement indépendantiste et de la lutte armée. On pouvait comprendre que cela corresponde aux souhaits du courant autonomiste, apparemment minoritaire à ce moment-là au point de n'être pas représenté dans l'institutions territoriale, mais  en réalité c'était aussi, stratégiquement, l'objectif d'une direction politique clandestine à bout de souffle dont la base militante s'était considérablement réduite.

Le personnage de Christian Anghjulini

Le personnage de Christian Anghjulini

Christian Anghjulini était d'une autre trempe. Bien implanté dans sa ville de Sartène, il avait multiplié les soutiens locaux, se lançant sans complexe à l'assaut d'une  mairie tenue depuis un demi-siècle par le même clan. Ses scores remarquables lui permirent d'être élu au conseil général, puis sur la liste d'Union en 2004. Politicien né, il avait le verbe facile et le don de communiquer. Mais des zones d'ombres occupaient son parcours. A l'instar de la quasi totalité des élus insulaires, il n'avait pas échappé à des relations douteuses dans le monde des affaires aux soubassements mafieux ni à des contacts avec les services de renseignements de l'Etat. Plusieurs de ses "amis" étaient tombés sous les balles des tueurs et certains le soupçonnaient parfois de faire le jeu du pouvoir en réduisant par l'influence de son parti autonomiste le champ de la revendication indépendantiste.

Le personnage de Ghislain Simoni

Le personnage de Ghislain Simoni

Ghislain Simoni se situait un cran au-dessus de tous les autres.  Il avait de qui tenir pour l'éloquence et le charisme. Fils d'Albert Simoni, le héros des évènements de Bravone en 1975, il avait fait de brillantes études de droit avant de reprendre le cabinet de son père. Il s'était aussitôt distingué comme l'un des meilleurs avocats du barreau de Bastia et s'était engagé résolument dans la défense des prisonniers politiques corses ce qui lui valait une estime publique générale. C'est sans doute cette qualité qui lui permit d'entamer une belle carrière politique en transcendant les courants traditionnels du nationalisme, pour s'allier à la fois des couches populaires dans les quartiers sud et une fraction de la bourgeoise locale installée au centre ville.  Comme son père, Ghislain Alberti, portait beau, ce qui ne laissait pas indifférent l'électoral féminin. Il avait donc lancé un mouvement dont il était le principal animateur qui par sa dénomination même, prétendait faire la Corse : "Femu a Corsica" (Faisons la Corse). La première personne du pluriel constituait le leurre habituel de tous les chefs qui donnent à leur troupe l'illusion qu'elles participent à l'élaboration des projets politiques. En cela, Ghislain Alberti se situait parfaitement dans la tradition de la démocratie française dont le seul but est de permettre à une classe politique de confisquer la souveraineté populaire. Ses études en droit lui avait permis de renforcer une conviction déjà largement acquise auprès de son père et renforcée par l'observation quotidienne des jeux politiciens. Il avait fait sienne la formule de Condorcet qui déclarait en 1792 : "Mandataire du peuple, je ferai ce que je crois le plis confirme à ses intérêts. Il m'a envoyé pour exposer mes idées et non les siennes." Tout le mépris du peuple est ainsi exprimé. Les électeurs n'auraient pas d'idées. Leur choix se limite à celles exposées par les candidats aux divers scrutin. Comme tous les politiciens de Corse, de France et de Navarre, Ghislain Simoni était convaincu que le peuple n'avait ni imagination, ni intelligence, ni capacité à faire lui même acte de souveraineté. Certes, suivant l'exemple paternel et plus généralement ceux que donne la démocratie représentative, il  demandait leur avis aux adhérents de son mouvement et aux électeurs pendant les campagnes électorales. Il organisait des séminaires ou de grandes assemblées sous chapiteau mais la messe était déjà écrite par lui-même et son staff. Les questions habilement orientées trouvaient des réponses préparées d'avance au point que l'assistance s'émerveillait de sa capacité exceptionnelle à y répondre. C'est un cerveau, disaient les plus admiratifs quand il n'était qu'une mécanique soigneusement mise au point pour donner l'illusion d'une intelligence spontanée ou d'une imagination créatrice. Bref, l'homme faisait florès, recueillant le respect silencieux des hommes et l'adulation hystérique des femmes. Il rêvait par-dessus tout de devenir maire de la bonne  ville de Bastia dominée depuis un siècle par la famille Zuccarelli et il était fort probable qu'il le réalise un jour parce qu'il avait passé un pacte secret avec la droite traditionnelle pour les échéances futures. Il n'était pas à une contradiction près, choisissant ainsi pour alliés les meilleurs défenseurs locaux d'un pouvoir qu'il qualifiait parfois, mais de plus en plus rarement,  de colonial pour entretenir le moral d'une base encore embuée de nationalisme. Le père avait donné la leçon qui, autrefois, avait su réaliser des unités de façade à but électoraliste entre autonomistes et indépendantistes allant même jusqu'à rencontrer discrètement les représentants de l'organisation clandestine pour passer avec eux des contrats ponctuels tout en dénonçant publiquement leur action laquelle dénonciation faisait partie d'un jeu qu'acceptaient de jouer eux-mêmes les chefs du FLNC. C'est qu'on était entre soi dans ce petit monde qui avait soutenu jusqu'au dernier moment, y compris en s'engageant parfois dans l'Organisation Armée Secrète (OAS), la guerre coloniale menée par la France en Algérie. Les ascendants idéologiques des nouveaux venus sur la scène politique nationaliste ne les conduisaient pas à rechercher les voies et moyens d'une société solidaire, plus juste et plus égalitaire. Presque tous étaient fascinés par le libéralisme et se comportaient en parfait représentants d'une bourgeoisie locale qui espérait faire  grossir sa boutique dans le cadre d'une autonomie de gestion.

Date de dernière mise à jour : 24/06/2022

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