UN BOUQUET DE RONCES POUR FAIRE JOLI

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Premières pages

PREMIERE PARTIE

VIA CRUCIS

Station 1

«Nel mezzo del cammin di nostra vita

Mi ritrovai per una selva oscura

Chè la diritta via era smarrita… »

Canto I, La Divina Comedia - L’inferno, Dante Alighieri

1

« Bring out your dead… »

Jim Morrison, The End, Live at the Felt Forum,

New York City, January 1970.

Alice n’a rien choisi. Pas même d’être ici et maintenant. Elle a toujours rêvé d’ailleurs. Elle préférait la fin aux origines. La jeune femme s’est oubliée avant même d’apprendre à vivre. C’est une fille sans histoire, sans mémoire. De son existence, Alice ignore tout jusqu’au fil conducteur. Passagère sur une route appa-remment sans embuches, elle avançait jusqu’à présent en roues libres, sur la réserve. Son moteur était encrassé, son embrayage défectueux, sa pédale d’accélérateur inexistante. Le freinage a été soudain, inéluctable, violent. Alors, en cette journée de fin d’été, quelqu’un lui a ordonné de reprendre le volant.

C’est la semaine de la rentrée. Pierre est parti plus tôt au travail afin de déposer Lou chez la nourrice. Il vient de prendre ses fonctions au collège. Avec lui, aucune place pour l’imprévu. Il est prof de maths. Sa vie est orchestrée au millimètre.

Alice ne lui a rien dit de ses intentions. Il n’aurait pas compris. Elle l’a embrassé rapidement après avoir préparé le sac pour que leur fille ne manque de rien chez la nourrice.  Déjeuner, goûter, biberon et peluche pour la sieste. Tout y est !

Bernard a donné trois semaines à Alice pour écrire son article. Le thème est intéressant - la Résistance en Corse pendant la deuxième guerre - mais l’homme, connu dans le milieu pour être sans pitié, ne l’inspire pas même s’il rémunère bien ses employés.

Alice a besoin de ce salaire. Elle ne veut plus vivre au crochet de son époux.

C’est par l’intermédiaire d’un ami qu’elle a fait la connaissance de Bernard, rédacteur en chef du quotidien insulaire. Auparavant, pigiste pour un magazine local, elle assurait la rubrique culturelle.  

Bernard lui a donné carte blanche. La jeune femme est déterminée. Elle espère que son reportage lui servira de tremplin. 

Elle s’est réveillée paniquée en pleine nuit. Un chuchotis et d’obscures réminiscences lui ont indiqué un chemin. Après le départ de Pierre et de Lou, elle a bu très vite un café sans sucre. Une fin amère pour s’absenter du monde en douceur.

Alice a pris une douche rapide, enfilé un débardeur, une jupe fluide à imprimé floral et des espadrilles. Elle a choisi de quitter la ville sans bruit. Les silences étaient devenus trop lourds.

De son véhicule, elle n’a choisi ni la marque, ni la couleur. Pour la première fois de sa vie, elle s’est retrouvée face à elle-même. Aucune image n’apparaissait dans le rétroviseur.

Elle démarre, puis roule, très loin…

Au commencement, était l’enfant… Plus tard viendront les croix, les épines, des sépultures çà et là et tout un tas d’herbes folles. Alice n’est pas certaine du chemin qu’elle emprunte. Pourtant cette route fait partie de son héritage. Depuis plus de vingt ans sans être retournée dans les ruines d’Ortia, la mort est restée la même.

    - C’est encore long papa ?

Personne ne répond au rappel du souvenir. Pourquoi répondre ? Arriver où ? Les lieux familiers, figés dans l’enfance, paraissent inconnus. Ils évoquent autant de blessures que le temps réactive. 

Le véhicule traverse plusieurs agglomérations avant d’arriver à l’embranchement de la route d’Orezza. Dans un bourg, non loin de là, les habitations ont été rénovées à l’identique : peinture blanche, toits en lauzes et volets bleus. C’est joli, mais impersonnel. Au fil du parcours, la végétation devient plus dense. Le cabriolet file à ciel ouvert. Fougères acides, excrétions animales et menthe sauvage délivrent des fragrances douloureuses. Un jeu d’ombre et de lumière s’installe dans la Castagniccia.

Ses ancêtres ne sont plus là, mais Alice n’a jamais autant éprouvé cette nécessité archaïque, ce besoin de faune, de flore, de sauvagerie instinctive, comme un appel de la première femme.

La validité des panneaux indicateurs lui parait incertaine. La conductrice se laisse plutôt guider par ces voix qui lui ont toujours fait écho depuis la vallée.

Pour rompre sa solitude, elle a allumé la radio. Elle reconnaît une vieille chanson des Doors :

 It hurts to set you free, but you’ll never follow me the end of laughter and soft lies, the end of nights we tried to die, this is the end…this is the end …

La tonalité se perd à mesure que le véhicule épouse les méandres de la montagne.

Son téléphone est sur vibreur. Aucun appel ne la préoccupe. Elle a mis le monde à distance. En cas de besoin, il est convenu que la nourrice contacte Pierre. 

Après la source d’Orezza, elle n’a croisé personne hormis quelques chasseurs et des cochons farouches. L’auberge située à quelques kilomètres du fief paternel affiche au tableau « complet pour le déjeuner ». Alice a soif, mais ne s’arrête pas. Elle est décidée. Elle n’a pas de temps à perdre. Elle sait qu’après l’auberge, elle ne trouvera plus rien jusqu’au village.

La mort et elle ne se sont-elles pas données rendez-vous ?

Date de dernière mise à jour : 10/08/2022

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Commentaires

  • Morfino Murati Lidia

    1 Morfino Murati Lidia Le 23/08/2022

    Bonjour,
    Je souhaiterais acheter une copie du dernier roman d' Alexia ANGELI. Pourriez vous m'indiquer comment faire pour le règlement et l'envoi?
    Bien à vous
    Lidia MORFINO MURATI

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